Il a soufflé comme un vent de liberté en ce 11 mai.
Le printemps avait été éprouvant : le soleil avait brillé presque sans interruption pendant deux mois avec arrogance tandis que nous, pauvres humains, étions confinés comme des volailles dans nos cages urbaines.






Ironie du sort, le jour du déconfinement, une pluie incessante battit le sol du matin au soir.
On a tous fomenté quelques plans d’évasion, enfermés que nous étions. Combien de ces projets verront le jour ?
Cette liberté encadrée à cent kilomètres à vol d’oiseau autour de chez soi, était le moment idéal pour mener à son terme une vieille idée que j’avais derrière la tête : partir du seuil de ma maison, à pied, pour traverser le massif du Jura et le département éponyme.
La lecture des cartes offre toujours un peu d’évasion et nourrit l’imaginaire volé par les écrans.
J’avais repéré un itinéraire nommé « L’échappée jurassienne ».
L’ échappée…. Action de s’extraire d’un groupe, d’un peloton, d’une société.
Le nom avait de quoi me séduire d’autant plus qu’il me remémorait quelques jolis souvenirs de courses cyclistes remportées en solitaire.
Par un samedi ensoleillé de mai, je mis en accord mes actes avec mes pensées et je partis en direction de Salins-les-Bains rejoindre le tracé officiel qui me conduira jusqu’à Saint Claude.






« Have a plan and stick to it » clamait le célèbre évadé autrichien Heinrich Harrer en son temps. C’est toujours une satisfaction de mener à son terme une idée, un projet. De transformer une pensée, une parole, en actes.
L’action a toujours quelque chose de stimulant.
Pendant douze jours, j’ai marché sur 280 km, dormi sans tente là où mon imagination et les opportunités s’offraient à moi. Ce fût magnifique, âpre, difficile et inoubliable. J’ai croisé peu de monde, mais les bonnes personnes : celles qui m’ont aidé à poursuivre ma route à travers ces heures de marche solitaires dans les forêts, les reculées et les champs. Qu’elles en soit ici remerciées. J’ai dormi le visage face aux étoiles, au bord des lacs, sur des éperons rocheux, en haut de belvédères, dans des abris à bois ouverts aux vents. Parfois ce fût moins romantique et je posai mon sac là où la fatigue me prenait.
Familiarisé par les traversées de pays à vélo, j’ai pu découvrir une autre manière d’arpenter les chemins. La marche est inspirante. Sa lenteur est propice à l’éclosion de pensées nouvelles. Elle impose, plus encore que le voyage à vélo, l’ascèse du bagage et la restriction des besoins. Un kilo supplémentaire sur le dos n’est pas un kilo anodin. Il vous ralentit dans les montées, vous tire les épaules, vous fait rendre en eau par les pores de votre peau celle-là même que vous convoyiez sur le dos.
On apprend beaucoup d’un voyage à pied. Même près de chez soi.
Passé le coin de votre rue, vous êtes déjà en route. Vulnérable et le regard déjà à l’affût d’un robinet, prêt à en découdre avec le paysage. Ces journées où mettre un pied devant l’autre était ma principale préoccupation furent magnifiques et j’y ai beaucoup appris. Chaque jour, ma volonté d’avancer fût mise à l’épreuve par les obstacles qui se dressaient devant moi. La chaleur, la longueur des étapes, le manque d’eau sont des mauvais conseillers. Parfois, rompu de fatigue et légèrement découragé, je devais convoquer toute ma volonté avant de remettre un sac toujours trop lourd sur le dos.
Et puis tout arrive. Le but que l’on pensait si lointain, comme presque hors d’atteinte, se profila un jour à l’horizon, avec en ligne de mire, la fin de ma précarité de voyageur à pied. Les dernières heures furent denses en émotions.
Pourtant, à peine arrivé, que l’on regrette déjà ce nomadisme là, pourvoyeur d’enseignements et d’expériences riches en émotion. Nicolas Bouvier, le célèbre voyageur genevois, appelait le voyage « l’Université de la route » tant il avait appris sur le trajet qui le mena jusqu’à Ceylan (Sri Lanka) dans une Fiat Topolino entre 1953 et 1954.






La descente en direction de Saint Claude, synonyme du terme de cette marche, me parut interminable. Elle ressemblait à un plongeon dans les entrailles de la terre quand on dégringole depuis le plateau du Haut-Jura. J’étais harassé de fatigue, dégoulinant de sueur, sous-alimenté depuis le matin. Après une dernière montée escarpée, la blanche et haute Cathédrale de Saint Claude se présenta de dos et il fallut en faire le tour avant de pouvoir se dire que la marche était terminée. Il était 15h, le ciel était bleu et pur car les avions ne le souillaient plus de leurs trainées. Les parcs étaient fermés mais la vie reprenait doucement dans les rues. Les portes de l’édifice étaient ouvertes. Je pénétrai dans l’allée centrale et fis quelques pas, puis m’asseyais quelques minutes.
Bientôt, les commerces allaient réouvrir. Les restaurants, les gîtes, les campings, les hôtels seront des havres de paix pour les voyageurs. J’avais réalisé cette marche comme je l’avais rêvé : seul, sans tente, depuis ma maison à travers des paysages verdoyants et pratiquement déserts. J’avais vécu une aventure certes courte mais au plus proche de la nature et je n’avais pas trahi au principe qui m’est si cher : by fair means soit par mes propres moyens.
Se dire que tous ces pas mis bout à bout m’avaient conduit jusque là était étrange.
La distance me parut à la fois énorme et ridicule. Tant d’efforts pour cela alors que je n’étais qu’à deux heures de route de chez moi. Et pourtant. Si la vie est constituée de pierres angulaires pour se construire au fil du temps, cette pierre là sera une pierre porteuse à coup sûr.
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