Chhatrapati Shivaji Maharaj International Airport – Mumbai – 16 février 2013 – 11.00 a.m
Tout d’abord il y avait la foule. Dense, compacte, impénétrable. Puis la chaleur qui vous arrivait à la face comme sortie d’un gigantesque ventilateur qui soufflait de l’air brûlant et enfin le bruit, le bruit de la fourmilière qui tel une seconde vague, acheva de me retourner. L’espace de quelques instants, la peur me saisit de partout. Partout du monde, des véhicules, un enchevêtrement humain et mécanique qui saturait presque tous les sens : la vison, l’ouïe, l’odorat. Cette première vision surgissant en sortant de l’aéroport me cloua sur place. Qu’étais-je venu chercher ici dans ce pays-monde ? J’avais pensé faire demi-tour avant de me reprendre. J’hésitais à me jeter dans la fosse aux lions. Je regardais la scène qui se jouait devant moi. Fascinante et angoissante à la fois. Des humains partout. Les gens allaient et venaient dans toutes les directions, à pied, en voiture, en moto, en scooter, en bus, en charrette, en camion sans jamais se percuter. C’était mon huitième voyage ici et pourtant l’intensité des émotions restaient intactes depuis ma première incursion ici même. Intenses, uniques et indélébiles. N’était-ce pas pour cela que j’étais revenu ? Quatorze ans après avoir débarqué pour la première fois ici en Inde ? N’était-ce pas pour ressentir et revivre tout ça ?
Incredible India
Un lourd soleil s’écrasa sur l’horizon derrière moi ; c’était la seule certitude que j’avais en cette fin d’après-midi. Je ne savais pas où j’allais, ni où la nuit allait me cueillir, ni même si un repas allait me récompenser de mes efforts pour sortir de l’immense ville indienne. Je n’avais pas de carte, et je peinais à déchiffrer les panneaux en hindi. J’étais en Inde depuis moins de quarante-huit heures. Je venais de quitter une ville monstrueuse de vingt millions d’habitants où le seul intermède sonore n’avait pas duré plus de cinq secondes. J’avais pris l’avion le jour où j’ai compris que celle que j’aimais ne me reviendrait pas. L’Inde me tendait ses bras maintenant, des bras que je savais puissants, tendres mais sans pitié parfois. Ce pays pouvait à la fois tout de donner et tout te reprendre l’instant d’après. Comme dans la vie en somme.
Premiers tours de roues
Ce fût sur les bas-côtés des routes du Maharastra, zone indéfinie entre la zone piétonne et le bord gauche de la route que j’allais connaitre les premiers frissons du voyage. Un de ces moments où on ne sait pourquoi, l’émotion vous transperçait de toutes parts le coeur et le corps. Etait-ce le bruit surpuissant de la circulation ? La densité de la population ? La chaleur ? Le sentiment de perdition face à cette marée humaine et mécanique ? De se retrouver dans une position où l’on ne contrôle plus rien sur sa propre vie ? Pourtant j’avais aimé ce sentiment où l’on se sent moins que poussière, poussé par derrière par le flux de la circulation gigantesque de la fin de journée, sans être vraiment sûr de sa direction, sans vraiment connaitre le contenu de la seconde qui suit. Vivre l’instant dans sa forme la plus simple, la plus forte, la plus épurée. Celle qu’aucune pensée ne venait altérer. Ne plus penser, ni à hier, ni à demain car demain n’existe pas. Ainsi j’allais pédaler, avec quelques affaires personnelles sur le porte-bagages, à travers l’Inde, prêt à tout endurer, prêt à tout recevoir, prêt à tout absorber.
L’hospitalité indienne
C’est le Docteur R. Kumar Rai qui me pris sous son aile pour cette première nuit en terre indienne. Je n’avais plus dormi depuis deux jours. Il allait devenir le premier maillon d’une longue chaîne de solidarité qui se mettait en place lors de tout voyage aventureux. Je lui racontai qu’un homme m’avait offert une bouteille de soda. Comme ça. Juste par affection.
-Bien sûr ! L’amour, l’affection sont les principales choses de la vie. Tout le reste est derrière !
Je lui dis que chez moi en Occident la solitude et la tristesse gagnaient les coeurs. Que les gens se réfugiaient derrière les écrans et qu’ils ne rêvaient plus en regardant par les fenêtres.
– Nous avons tous en nous le pouvoir de guérir de nos maladies. C’est dans notre sang. La vie veut vivre. Le reste ce sont des problèmes que nous créons de part du style de vie que nous menons.
Le docteur est survolté et accueillir un étranger est pour lui source de plaisir.
-Il y a neuf ans, une australienne est venue ici. Elle est resté deux jours. C’est un grand honneur pour nous.
Le tintement de la cloche du temps où j’avais dormi retentit. Le soleil soulevait un halo de brume de chaleur à l’est. Mon point cardinal jusqu’à Kolkata. Mon seul repère fiable. La vie était douce dans les villages, loin de l’agitation urbaine. Je m’en imprègnai avant d’aller lutter sur la route écrasée de chaleur. Les gens se déplaçaient lentement, les bras dans le dos avec l’allure ce ceux qui disposaient de leur temps.
L’invité pas tellement surprise : la chaleur
Je quittai Pachmain un peu avant dix heures après avoir reçu des tonnes d’affection et de bienveillance. La chaleur pointait déjà le bout de son nez. Bientôt il allait falloir faire halte. Quand je saisissais ma gourde, ça n’était jamais pour moins d’un quart de litre. Il n’y avait rien à faire contre cette chaleur à part attendre qu’elle baisse d’un cran à l’aube ou au crépuscule. J’allais ainsi de coin d’ombre en coin d’ombre, sautant d’une cabane à thé à l’ombre d’un pipal. Je ne mangeais déjà presque plus, me nourrissant uniquement de thé sucré, de fruits et de biscuits secs. Dans cet espace aride, détroussé de son vert végétal par un souverain et puissant soleil, la chaleur avait déjà gagné la partie.
Lâcher prise en voyage
Le ballet des saris multicolores et éclatants chantait la louange des couleurs aux abords de Sawarne. La scène, superbe, semblait surgir d’un autre temps, baignée de la lumière de fin de journée. Elle m’incita à aller visiter le village situé en retrait de la NH61. Je réalisais quelques clichés avec le sentiment d’être privilégié et d’être témoin d’une époque, d’une autre temporalité. Je décidai de ne pas aller plus loin dans cette journée. Sawarne m’hypnotisait. La petite communauté était encerclée par de hautes parois montagneuses abruptes. Quelques minutes seulement après avoir pénétré le village, Ram m’accueilli chez lui. J’allais y rester trois jours. Le soir même, alors que la nuit était déjà fort avancée, dans un hindi chantant, il me fit comprendre de monter à l’arrière de sa moto pour une destination inconnue. Je laissais derrière moi mon vélo, mes affaires et mes misérables soucis. J’étais en train de lâcher prise, d’oublier ce pourquoi j’étais venu, vivant à deux cent pour cent ces instants auxquels rien ne me prédestinait.
Le soir, je rédigeais mes notes en écoutant le doux chant mélodieux des conversations en hindi que la quinzaine de personnes qui m’entourait, assis sur des chaises, psalmodiait Je ne comprenais pas le sens des discussions, pourtant je sentais que chacun des hommes présents tentait de s’imaginer ce qu’était mon pays, la France. Bien que parfaitement étranger dans un monde à l’opposé du mien, je me sentais intégré dans cette communauté à l’écart du monde. Le voyage était lancé.
Deux milles cinq cents kilomètres me séparaient encore de Kolkata…
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