Voyage à travers la solitude

Jusqu’à la dernière minute, un doute énorme m’a taraudé l’esprit : qu’allais-je chercher là-bas dans l’extrême ouest de la Chine ? Partir une fois avait déjà été difficile. Pourquoi me jeter à nouveau sur les chemins incertains et inconfortables de l’aventure ? Après les vaines tentatives depuis l’Inde du nord et l’ouest népalais, j’ai choisi l’extrême ouest de la Chine comme nouveau point de départ pour tenter de gagner le sanctuaire sacré du Mont Kailash, au Tibet. Cette fois, j’avais la solitude pour seule compagne de voyage.

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A Urumqi, capitale du Xinjiang que j’atteignis au terme de 42 heures de trajet en train depuis Pékin, j’ai fais l’acquisition d’un vélo. Le principe de me déplacer mû par ma propre énergie restait essentiel à mes yeux. J’étais prêt pour sillonner l’immense bassin du Tarim et le désert du Taklamakan, deuxième plus grand désert de dunes au monde.

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Je ne connaissais rien ou presque de cette région du monde. L’hiver était encore bien présent. J’ai dû m’acharner pour quitter la ville et franchir la chaîne des Tian Shan. La neige, les tempêtes de ventes le froid cinglant avaient rendu l’endroit hostile. Puis le vide géographique immense m’aspira. Ici les rôles du ciel et de la terre étaient inversés. Je vécus un voyage fabuleux. Je l’évitais entre deux mondes : l’horizontalité et le vide sidéral qui se déroulait sous mes pneus. Dans cet univers étrange, mon esprit vaquait vers des horizons nouveaux. de ce néant terrestre, il tirait une substance nouvelle. Comme le poète William Blake, allais-je « voir un univers dans un grain de sable et le ciel dans une fleur des champs » et « tenir l’infini dans ma paume et mettre l’éternité dans une heure »?

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Chaque jour, je pédalais de longues heures, traversant des paysages immobiles à en devenir fou. Aller loin, ce n’est pas aller vite mais aller longtemps. L’infinitude de l’horizon me plongeait dans un état d’oubli de soi. Durant cette progression lancinante, j’ai fini par apprivoiser celle qui m’effrayait tant : la solitude.

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La traversée du désert du Taklamakan agit comme un révélateur. Au coeur d’étendues arides, le vent arrivait de partout et anesthésiait tous mes sens. Je n’étais plus porté que par l’euphorie de l’effort extrême. Voyager dans la vastitude permet d’élargir son champ de vision. Le monde est si grand. Encore fallait-il le parcourir pour admettre cette évidence.

En route, je me nourrissais de pain, de brochettes de mouton ruisselantes de graisse, de raisins secs et d’arachides que les gens m’offraient. Dans les villages, les Ouighours tentaient de démystifier le fonctionnement du compteur du vélo. Visons de visages de Gavroches à casquette et de faces de montreurs d’ours. La curiosité était réciproque. On me prenait pour un Russe. La halte s’éternisait. Le moment était bon, et le rire l’emportait sur la frustration de ne pouvoir communiquer davantage.

Au 39ème jour de voyage, une mauvaise piste militaire plongeant dans les entrailles de la terre m’enleva mes dernières forces. J’étais à plus de deux milles kilomètres de Lhassa et progressais à la vitesse d’un marcheur. Je payais mon impatience à gagner la montagne. Je bifurquais finalement vers Kashgar, célèbre oasis Ouïgour que j’atteignis après 2700km, rempli d’une énergie intérieure nouvelle, ayant expérimenté avec succès les effets bénéfiques de la pérégrinations en solitaire. N’étais-ce pas ce que j’étais parti chercher en chemin ? Une transformation du corps et de l’esprit par les expériences vécues ?

Le Mont Kailash ne s’était toujours pas offert à mes yeux, mais j’avais acquis la certitude qu’après les voies infructueuses de l’ouest, du sud et du nord, la route de l’est me délivrerait de mon obsession. Apercevoir la montagne la plus sacrée d’Asie est devenue une raison de vivre. En septembre, je repartirai vers l’est. Pour la 4ème fois.

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